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Retravailler la proximité

Publié le 08/05/2020 | par Christophe Reibel

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Domaine Borès
En avril, Marion Borès cumule cinq jours et demi sur la route pour livrer des commandes.

Les clients désertent les caveaux et ne se ruent pas aux drives. Pourquoi, alors, ne pas aller les livrer à domicile ? Trois viticulteurs détaillent leur démarche.

L’utilitaire blanc du domaine Borès est garé depuis quelques instants déjà. Marion est attendue. Normal. Elle a préparé sa tournée de livraison en envoyant un SMS la veille pour prévenir de la plage horaire indicative de son passage. Elle n’a que les cartons à remettre avant de poursuivre son circuit. Ils ont été réglés à la commande, par carte, sur la boutique en ligne du domaine de 10 ha situé à Reichsfeld. Pierre, Marie-Claire et leur fille Marion ont pris l’initiative d’un premier courriel d’information le 30 mars. Il signalait assez discrètement la possibilité de passer commande. Ils le font suivre les 4 et 23 avril de deux autres très clairement orientés vers la vente. Une version « Alsace » est envoyée à 1 600 adresses dans la région, une version « France » à 3 000 autres dans l’Hexagone. « Nous récupérons depuis longtemps toutes les adresses électroniques qui nous sont accessibles. À Reichsfeld, la problématique clients est permanente du fait du très faible passage puisque la route se termine dans la commune », remarque Marion. Ces envois sont complétés le 23 avril par 500 courriers postaux expédiés à des personnes dont les courriels étaient inconnus. Résultat ? « Les commandes via la boutique en ligne accessible par un lien figurant dans le courriel se sont enchaînées. Le retour a encore été meilleur pour l’envoi du 23 avril. » Le domaine a ainsi écoulé plus de 2 600 bouteilles sur le mois. 1 600 ont été livrées par Marion. Excepté un seul, chaque panier moyen a toujours dépassé les 120 €, limite choisie par les viticulteurs pour faire bénéficier de la livraison gratuite. En moyenne, la commande tournait plutôt autour des 200 €.

 

 

Si personne n’a souhaité profiter de l’offre de drive au domaine, à l’inverse, Marion a passé cinq jours et demi sur la route en avril. « C’est toute une organisation. Elle a évolué avec l’expérience », confie-t-elle. La veille, elle annonce par SMS et par courriel un horaire large de visite. Elle prépare aussi les commandes. Le panachage est rare. « À la première tournée, je n’envoyais qu’un SMS. J’ai préféré doubler avec un courriel pour sécuriser la présence de mon interlocuteur et éviter toute perte de temps. J’ai aussi troqué le masque qui servait habituellement aux traitements que je portais la première fois pour un modèle lavable fabriqué par ma maman. J’ai enfin abandonné les gants au profit du gel hydroalcoolique. J’appelle le client quand je suis devant chez lui. Comme ça, je n’ai pas à appuyer sur la sonnette. Je ne touche que les poignées de la porte coulissante et le carton. » Marion prévoit une troisième tournée en mai avec livraison le samedi et non plus en semaine car le déconfinement aura commencé. La livraison à domicile devrait perdurer. « Cela crée du lien. Il est plus facile pour nous d’aller chez le client que l’inverse. »

« L’humain reprend le dessus »

À Wettolsheim, le drive du domaine Stentz-Buecher fonctionne mieux qu’à Reichsfeld. L’accès aisé et la grande cour s’y prêtent. Mais ce n’est pas la ruée. « Je livre dans 80 % des cas », indique Céline Stentz, qui gère l’exploitation avec son frère Stéphane. « Les clients préfèrent ne pas se déplacer en raison des risques de contrôle. » Céline a enregistré des commandes grâce au mailing lancé chaque semaine depuis le 17 mars avec des messages différents mais toujours « positifs » à ses clients locaux et en se signalant sur les réseaux sociaux. Un compteur lui indique que 44 % des destinataires ont ouvert le courriel du domaine et 10 % ont cliqué sur le lien vers le tarif, soit deux fois plus que pour un mailing classique. Elle livre sur rendez-vous, sans frais à partir de 18 bouteilles, de Thann à Sélestat, et demande 20 € au-delà. Céline porte un masque maison fabriqué selon un protocole défini par des médecins. Elle dépose les cartons devant la porte et conseille de ne pas les toucher pendant quelques heures. Il n’y a pas eu de changement dans les ventes. « Le riesling traditionnel, le pinot gris Rosenberg 2018, le pinot noir 2017 et le crémant partent le mieux. Ce sont des vins entre 9 et 12 € le col. Ces ventes ne compensent pas celles que nous avions jusque-là auprès d'une clientèle de professionnels sur laquelle nous avions porté nos efforts. Nous sommes à 40 % du chiffre d’affaires habituel. »

 

 

À Eguisheim, le domaine Pierre-Henri Ginglinger a adapté au contexte le lancement de Gustus, son nouvel assemblage gazéifié de quatre cépages à base de muscat et de sylvaner. Sa vidéo promotionnelle sur les réseaux sociaux appuyée par un envoi de courriels sur quatre départements limitrophes a servi de fer de lance à une action commerciale proposant la livraison sans frais à partir de douze bouteilles et d’un à trois cols de Gustus offerts en fonction de l’importance de la commande. « 500 bouteilles sont sorties en une journée », se félicite Stéphanie Ginglinger, responsable commerciale du domaine. Elle préfère voir les changements positifs entraînés par la crise. « Les conversations que nous pouvons avoir avec nos clients changent de nature. Elles sont plus longues. L’humain reprend le dessus. Ce n’est pas tout de suite l’idée de déclencher une vente qui oriente la discussion. Les comportements s’apaisent. On retrouve de la bienveillance et de la solidarité. C’est une occasion de se remettre en question, de se réorganiser pour être moins sous pression et d’améliorer notre qualité de vie. » Sa réflexion actuelle conduit le domaine à se concentrer sur la meilleure façon de garder « la connexion avec les gens. » Il réfléchit à éliminer le plus possible les intermédiaires, en réduisant par exemple tout à la fois le nombre de salons inscrits à son calendrier et celui de ses revendeurs.

Le BIB confirme

À Weitbruch, Philippe Schlick, gérant de La boutique du sommelier, se félicite de miser depuis toujours sur la clientèle locale, composée à 99 % de particuliers. La majorité habite dans un rayon de vingt kilomètres. Le magasin, jusque-là fermé le matin, sauf vendredi et samedi, ouvre désormais tous les jours de 10 à 12 h et de 14 à 16 h, pour coller à de nouveaux emplois du temps. « Je n’ai jamais vendu autant de BIB de 5 l qu’actuellement, dit Philippe. Surtout du rouge et du rosé, très peu de blanc. Mais, si demain je trouve du pinot blanc d’Alsace en BIB, je suis le premier à en proposer. » En bouteilles, il vend à un niveau de prix de 5 à 8 €, moins élevé que d’habitude. Parmi ses trente références d’Alsace sur 350 au total, sylvaner, auxerrois, pinot blanc et riesling « marchent bien » tout comme le gentil ou des assemblages. Le chiffre d’affaires de la boutique a reculé de 50 % ; ses achats aussi.

 

 

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