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La filière des vins d’Alsace sanctionnée par l’Autorité de la concurrence (AC)

376 000 € d’amende et pourtant des dommages « très limités » causés à l’économie

Publié le 24/09/2020 | par DL

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GS
Une annonce de l’autorité de la concurrence en pleine période de vendanges…

Les organisations viticoles alsaciennes sont sanctionnées par l’Autorité de la concurrence pour entente illicite sur le prix du raisin. Les trois organisations incriminées ont plaidé la bonne foi et la transparence, surtout que les conséquences au niveau du prix pour le consommateur sont minimes. Mais la sanction reste lourde tant sur le plan pécunier qu’en matière d’image.

Sauf procédure d’appel devant la Cour d’Appel de Paris, l’Ava, le Civa et le GPNVA (Groupement des Producteurs Négociants du Vignoble Alsacien) sont sanctionnés par l’Autorité de la concurrence. Il leur est reproché d’avoir « augmenté les prix de la matière première (NDLR du raisin donc), afin de renchérir mécaniquement le prix de vente aux consommateurs des vins d’Alsace ». Et il est reproché au Civa d’avoir appliqué « des recommandations tarifaires sur le prix du vrac ».

L’Autorité s’est appuyée sur les recommandations de prix du raisin - prix qu’elle a d’ailleurs publiés officiellement depuis 2013 - et sur « les recommandations tarifaires de prix du vrac » entre 1980 et 2018.

Par ailleurs, elle considère que les prix élaborés par le Civa « uniques, par cépage, et applicables à tous les exploitants viticoles alsaciens » et ce « quels que soient leurs coûts d’exploitation individuels », faussent « le libre jeu de la concurrence ». Une argumentation « pervertie » selon le Civa, pour qui « ces prix du vrac par cépage étaient établis sur la base de prix constatés à qui l’on applique une moyenne ».

En résumé, deux principaux reproches sont faits aux organisations professionnelles : des recommandations tarifaires publiées pour le raisin, et des prix du vrac appliqués selon une grille de valeur fonction de la variété de cépage à l’échelle du vignoble et qui ne reflète pas les coûts d’exploitation individuels. Prix de référence qui étaient constatés en commission paritaire.

Durant toutes ces années, les organisations professionnelles alsaciennes ont pourtant agi en toute transparence, avec même des publications dans des revues professionnelles, ce que d’ailleurs ne conteste pas l’Autorité.

Peut-on reprocher à l’Ava et au Civa de vouloir tenir un prix digne ?

En épluchant les comptes rendus du Civa, de l’Ava et de la commission paritaire, l’Autorité fait observer les volontés de la profession de maintenir un prix du raisin digne de l’AOP. Mais peut-on reprocher aux organisations professionnelles de vouloir préserver l’image de l’appellation en évitant des prix bradés ?

L’Autorité mentionne cependant qu’il existe une procédure de « demande d’exemption individuelle à la prohibition des ententes ». Procédure d’exemption qui, de toute façon, n’aurait selon elle pas abouti « dans la mesure où la réalité du progrès économique engendré par les pratiques en cause n’était pas démontrée ». Vouloir défendre un prix du raisin digne n’est-il pas un progrès économique pour « garantir le revenu des viticulteurs et améliorer la qualité des vins offerts aux consommateurs » ? « Le maintien de la viabilité économique de l’activité des vignerons ne saurait, en tant que telle, suffire à la démonstration d’un progrès économique », répond l’AC !

En la présence de la DGCCRF lors des discussions paritaires

Dans son mémoire, l’AC ne remet pas en cause les travaux de la commission paritaire « en tant que lieu de discussion, à condition d’éviter que ses travaux puissent être perçus comme contrevenant aux règles de la concurrence », précise-t-elle.

Sur la présence de l’Administration (DGCCRF) lors des discussions paritaires, invoquée par les organisations professionnelles, l’AC rétorque que « la concertation sur le prix du raisin n’a pas été imposée par les pouvoirs publics aux organismes en cause ». Qu’au surplus, cette présence de l’Administration « a permis d’avertir explicitement les mis en cause du caractère anticoncurrentiel de leurs discussions ». Et qu’au final, « la présence de l’Administration aux réunions organisées par les organismes en cause ne peut exonérer ceux-ci de leur responsabilité dans la mise en œuvre des pratiques litigieuses graves ». L’Administration aurait peut-être pu se montrer plus insistante sur la gravité des faits qui se déroulaient sous ses yeux pendant toutes ces années…

Dans un paragraphe consacré au vrac, l’AC rappelle les principes applicables notamment concernant les interprofessions sur ce sujet des prix : « Les organisations interprofessionnelles peuvent diffuser des informations en matière de coûts ou de prix sous forme de mercuriales ou d’indices si les données statistiques en cause sont passées, anonymes et suffisamment agrégées. » Elle souligne l’importance de l’anonymat, et que « la diffusion d’indicateurs et d’indices par les OI (organismes interprofessionnels) ne doit pas aboutir à un accord collectif sur les niveaux de prix et ne doit en aucun cas être assimilable à une forme de recommandation syndicale de prix ».

Un calcul impossible

Pour sa défense, le Civa a indiqué qu’il effectuait des recommandations sur la base des coûts de production. Mais globalement, l’AC a estimé que les éléments de calcul de ces coûts sont insuffisants, elle reproche un échantillonnage d’exploitations (18) trop faible et « non représentatif », et reproche un principe d’application de moyenne dans une appellation où les écarts de coûts de production sont très importants, à commencer par le coût du foncier.

Sur cet argument d’insuffisance de données des coûts de production, on imagine mal le Civa prendre en compte tous les coûts individuels des 4 000 exploitations du vignoble.

Une sanction fonction des rentrées de cotisations

Sur le montant de l’amende de 376 000 euros au total, jugé exorbitant et équivalent à 1 000 € par déclarant de récolte, l’amende comprend notamment 209 000 € sur la question des recommandations du prix du vrac. L’AC précise que « les organisations ne disposent pas elles-mêmes d’un chiffre d’affaires relatif à la production et la commercialisation des vins d’Alsace ». Par conséquent, elle s’est appuyée sur le montant des cotisations perçues.

« Des dommages très limités » selon l’AC

Au final, l’AC considère que s’agissant du prix du raisin « les pratiques ont causé un dommage certain mais très limité à l’économie », dommage qu’elle ne chiffre pas d’ailleurs… Et s’agissant du prix du vrac, que le dommage causé est « certain mais sans doute d’envergure limitée ». Quant aux dommages causés à l’image de la filière des vins d’Alsace par cette sanction, là en revanche ils sont certains et difficilement évaluables…

 

? Des réunions pour fixer le prix du Riesling et du Gewurtz... et une amende bien salée à la clé ! ?

Publiée par Rue89 Strasbourg sur Jeudi 17 septembre 2020

 

Quel impact sur l’image ? La double peine pour la filière ?

« Un cartel des vins d’Alsace », pour Europe1 et YahooNews. « À l’amende pour une entente », pour Rue89. « Sanctionné pour rendre le vin plus cher », selon Capital. « Sanction après l’entente sur les prix », pour Le Progrès… Voici l’image de la filière des vins d’Alsace écornée par la presse nationale suite à la large diffusion d’un communiqué par l’Autorité de la concurrence. Les « dommages très limités » infligés à l’économie et finalement au consommateur qu’aurait engendré cette entente ne sont jamais mentionnés. En revanche, l’importance du montant de la sanction figure dans tous les articles et laisse à penser que le consommateur aurait été grandement lésé dans cette histoire. Pourtant, la réalité est que les vins issus du marché des transactions de vrac et de raisins, principalement destinés aux circuits longs, n’ont pas véritablement connu de montée de prix en grande et moyenne surface. Et en amont de la filière, le prix du vrac s’est littéralement effondré. Si entente de cartel il y avait, en tout état, elle n’a pas fonctionné. Reste à considérer la sanction financière consécutive à l’impact sur l’image à un moment où le Civa déploie des trésors d’imagination pour défendre l’image des vins d’Alsace.

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