Vie professionnelle

Pâtes Grand-Mère

Garder la cadence malgré les absences

Publié le 02/05/2020 | par Nicolas Bernard

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La vente des Pâtes Grand-Mère a doublé dans les étals des supermarchés depuis le debut de la crise sanitaire liée au Covid-19.
Ilona Bonjean
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Philippe Heimburger regrette les arrêts de travail de « complaisance » qui ont fortement impacté le fonctionnement de son entreprise.
Germain Schmitt

Depuis le début du confinement, l’entreprise Heimburger, basée à Marlenheim, a vu ses commandes de Pâtes Grand-Mère doubler. Pour répondre à la demande, elle a dû adapter ses lignes de production en tenant compte des absences, souvent injustifiées, d’une partie du personnel.

Ruée vers les œufs, la farine, les pâtes… Depuis le début du confinement, les produits alimentaires de première nécessité sont confrontés à une demande bien plus élevée qu’à la normale. En ces temps de crise, le retour aux fondamentaux rassure. En face, les producteurs et transformateurs s’organisent pour assurer l’approvisionnement des étals de supermarchés. C’est le cas de l’entreprise alsacienne Heimburger, fabricante des Pâtes Grand-Mère. Avec la crise du Covid-19, le nombre de ses commandes a doublé. Un accroissement d’activité qu’il a fallu gérer du jour au lendemain, avec les contraintes sanitaires et sociales qui vont avec. La mise en place des mesures barrière n’a posé aucun problème dans la mesure où l’entreprise Heimburger utilise des gels hydroalcooliques depuis vingt-cinq ans, tout comme les masques qu’elle a rendus obligatoires pour tout le personnel. Et pour la mise en place des distanciations sociales, pas de problème non plus étant donné que les opérateurs présents sur la ligne de production sont seuls sur leurs machines.

Des arrêts de travail « complaisants »

Encore faut-il des opérateurs pour mettre la main à la pâte, sans mauvais jeu de mots. Philippe Heimburger regrette en effet le fort taux d’absentéisme auquel il a été confronté le lendemain de l’annonce du confinement par le président de la République. « On a eu 25 % d’absents en vingt-quatre heures. Pourtant, la veille, il y a eu un réel engagement de tout le personnel à répondre présent. Au final, l’absentéisme est monté jusqu’à 40 %, dont 80 % dans le même service. On était à deux doigts de stopper l’activité de l’entreprise. Clairement, il y a eu des déserteurs, mais aussi des médecins très complaisants en face », regrette-t-il. Un mois et demi après le début du confinement, il a toujours du mal à ne pas se mettre en colère quand il évoque cette situation. Pour lui, c’est toute la santé du personnel qui était en jeu si véritablement autant de salariés étaient tombés malades. « J’ai averti la préfecture, j’ai bataillé pour obtenir la levée provisoire du secret médical. Si quelqu’un était véritablement porteur du virus, on ne le savait pas. C’est inadmissible ! D’un côté, on m’oblige à poursuivre mon activité pour nourrir la population, de l’autre, on ne me donne pas la possibilité de protéger efficacement mes salariés. Et après, c’est à moi de prouver que je dois les protéger. Alors oui, leur sécurité est la priorité à mes yeux. Tout est mis en œuvre pour les protéger. Nous avons ainsi trois personnes qui ne font que de la désinfection des surfaces. Mais de l’autre côté, il faut aussi une réelle transparence. Sinon, c’est une vraie bombe à retardement. Et si, demain, il n’y a plus de pâtes dans les rayons, il ne faudra pas pleurer. »

La solidarité à l’œuvre

Heureusement pour l’entreprise Heimburger, la mobilisation du personnel présent et la solidarité interprofessionnelle a permis, et permet toujours au moment où sont écrites ces lignes, de maintenir une cadence de production suffisamment importante pour répondre aux besoins. « Une chaîne de solidarité s’est mise en place avec Alsace Lait et la société Arthur Metz qui nous a mis des techniciens à disposition. Au final, malgré 40 % d’absentéisme, on a pu maintenir 70 % de la capacité de production de l’entreprise. Nous avons mis les petites références en stand-by pour concentrer notre énergie sur les références de pâtes les plus faciles à produire », souligne-t-il. Petit à petit, des salariés qui s’étaient mis en arrêt de travail sont revenus au sein de l’entreprise de Marlenheim. Un à un, ils ont été convoqués dans le bureau de la direction. « Je voulais savoir pourquoi ils s’étaient absentés. Et je leur ai dit que s’ils avaient contracté le virus, c’était déplorable de n’avoir rien dit, tant pour leurs collègues que pour l’ensemble de l’entreprise. Certains ont pris conscience de leur choix et se sont excusés. » Malgré la forte demande, Philippe Heimburger n’a jamais cédé à la tentation d’augmenter le temps de travail à soixante heures hebdomadaires, comme le lui autorise l’état d’urgence sanitaire. « Pour moi, une telle option est inenvisageable. Mes salariés se donnent tellement chaque jour dans leur travail qu’ils ont besoin de se reposer. Encore une fois, leur bien-être et leur sécurité doivent passer en priorité », rappelle-t-il.

Un « écosystème » à revoir

Solidarité interprofessionnelle, solidarité intra-entreprise, et solidarité des consommateurs ? Alors que le « made in France » est plus que jamais plébiscité depuis le début de la crise sanitaire, Philippe Heimburger espère surtout que cette tendance s’inscrira dans la durée, une fois le retour à une vie « normale ». « Il faut que les gens prennent conscience que leurs achats, ce sont nos emplois. Nous faisons des super produits juste à côté de leurs portes. Il n’y a pas besoin de les faire venir d’ailleurs. Surtout, il est temps de revoir tout l’écosystème et sortir de la logique du toujours moins cher. C’est ce qui a détruit l’industrie dans notre pays. Après la guerre, il y avait encore 326 usines de pâtes en France. Aujourd’hui, on est plus que six alors que la démographie a explosé en soixante-dix ans. » Face à cette concurrence féroce, l’entreprise Heimburger entend poursuivre sa politique de qualité en proposant des produits à haute valeur ajoutée : ses traditionnelles, ses labélisées, pâtes aux sept œufs frais plein air, sa gamme bio, sa gamme « 100 % Alsace » ou encore sa gamme produite à partir de blé dur à laquelle Philippe Heimburger croit beaucoup. « Pour l’instant, c’est une charge pour mon entreprise. Mais je suis convaincu que, tôt ou tard, il y aura un juste retour des choses. C’est une filière vertueuse qui se met en place aux côtés des organismes de collecte et des agriculteurs. C’est un engagement sur la durée. »

 

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