Pratique

Épandage des boues de station d’épuration

Traitements, mesures et contrôles face au Covid-19

Publié le 19/07/2020 | par Bérengère de Butler

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Le suivi de la teneur en SARS-CoV-2 dans les eaux usées constitue un bon indicateur de l’évolution de la pandémie. Par contre, tant que le caractère infectieux ou non du virus retrouvé dans les eaux usées n’est pas démontré, seules des boues préalablement hygiénisées peuvent être épandues.
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Un stock de boues chaulées.
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Le compostage fait partie des techniques d’hygiénisation. Cette méthode de traitement des boues était déjà largement répandue avant la Covid-19, mais des volumes supplémentaires de boues ont été traités dans les plateformes de compostage. Comme ici à Erstein.
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Les paramètres devant permettre d’atteindre les exigences d’hygiénisation ont été suivis grâce à un protocole d’analyses. Ici, mesure de la température dans un compost.

Suite à la détection de particules virales du SARS-CoV-2 dans les selles de patients, les mesures d’hygiénisation des boues issues des stations d’épuration avant leur épandage ont été généralisées à l’ensemble des volumes produits, essentiellement pour protéger les applicateurs. Le risque de propagation du virus dans la population par cette voie apparaît négligeable.

D’une station d’épuration sortent deux produits : les eaux traitées, qui rejoignent le milieu naturel, et des boues, qui sont valorisées essentiellement en agriculture. « C’est même 100 % des boues issues des stations gérées par le Syndicat des eaux et de l’assainissement (SDEA) Alsace-Moselle qui sont valorisées en agriculture », souligne Thierry Willmann, responsable de la valorisation des boues au SDEA. 70 % le sont directement en sortie de station, après stockage, soit sous forme liquide, brute, ou après traitement. Les 30 % restants sont issus de stations d’épuration situées dans des secteurs où le potentiel d’épandage agricole est trop restreint pour les accueillir (zones de montagne…). Ces boues partent alors vers des filières de compostage, dont le produit sera aussi épandu sur des champs.

Mais il existe une exception à cette valorisation agricole des boues de station d’épuration : leur non-conformité. « Lorsque la qualité des boues les rend impropres à l’épandage, elles sont incinérées ou enfouies », précise Thierry Willmann, qui ajoute que ce cas de figure n’a pas été rencontré depuis plusieurs années, « grâce à la sensibilisation des usagers à la nécessité de préserver la qualité de la ressource en eau ».

Mais ça, c’était avant le Covid-19. Lorsque l’épidémie s’est propagée à travers la population, « la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), à laquelle adhère le SDEA, a suivi l’évolution de la maladie de près. Il fallait prendre les mesures qui s’imposent en matière de gestion du cycle de l’eau », rembobine Thierry Willmann. Une veille qui a conduit le SDEA à prendre la décision d’arrêter l’épandage de boues non hygiénisées à partir du 16 mars 2020, soit avant que l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) n’émette cette recommandation, le 2 avril 2020. « Cette décision a été prise pour ne pas prendre le risque d’exposer au virus notre quarantaine de prestataires d’épandage, essentiellement des Entreprises de travaux agricoles (ETA) », souligne Thierry Willmann. Cette mesure a été « plutôt bien accueillie » par les prestataires, même si cela représente pour eux une baisse d’activité, donc de revenu.

Hygiéniser les boues : le faire et le vérifier

Le risque de voir le virus se propager à la population via les épandages de boues est très faible. Plusieurs raisons sont avancées : ces épandages sont interdits à proximité des habitations, afin de réduire les nuisances olfactives, il y a obligation de retourner ou d’enfouir les boues dans la foulée de leur épandage, et toutes les boues épandues doivent à l’heure actuelle être hygiénisées. En outre, si le génome du virus a bel et bien été détecté dans les eaux usées, il est encore impossible de savoir s’il reste actif, donc infectieux, dans ce milieu. Il est en fait très probable qu’il soit inactivé par les traitements classiques des eaux usées, mais en l’absence de preuve, la prudence s’impose : « En acceptant de prendre en charge les boues issues des stations d’épuration, les agriculteurs rendent un service à la société. Se faisant, ils nous font confiance. Nous avons donc envers eux des obligations réglementaires et morales qui nous obligent à sécuriser la qualité sanitaire des boues », explique le responsable de leur valorisation au SDEA.

À partir du 2 avril donc, les acteurs de l’épuration et de l’assainissement ont dû suivre la recommandation de l’Anses, à savoir respecter les critères d’hygiénisation pour l’intégralité des boues destinées à l’épandage. Mais Céline Veit, du service Gestion du territoire de la Chambre d'agriculture Alsace, pointe le problème : « ces exigences ne devaient être respectées que pour pouvoir épandre près des habitations ou dans des cultures maraîchères, de manière dérogatoire, ce qui n’était jamais recherché. Du coup, même si une part importante des boues étaient déjà chaulées ou compostées - donc théoriquement hygiénisées - avant le Covid-19, on ne sait pas si les traitements appliqués aux boues permettent effectivement de répondre aux exigences d’hygiénisation ».

Plus d’analyses, donc plus de moyens

Les traitements permettant d’hygiéniser des boues sont le compostage, le séchage thermique, le chaulage et la méthanisation thermophile. Cette dernière n’étant pas pratiquée dans la région, et le chauffage thermique n’étant que très peu développé, les boues ont donc essentiellement été hygiénisées par compostage et chaulage. De fait, celles qui l’étaient déjà ont continué à l’être. Et un certain volume, notamment les boues liquides, a subi des traitements complémentaires, à commencer par une déshydratation. Enfin, les volumes qui n’ont pas pu être hygiénisés ont été dirigés vers d’autres exutoires, à savoir essentiellement l’incinération, sachant que la capacité d’absorption de cette filière est restreinte, surtout pour des boues humides, donc peu intéressantes d’un point de vue calorigène. Au final, « dans le Bas-Rhin, 19 % des boues devront subir un traitement complémentaire, soit 3 400 tonnes de matière sèche (tMS). Dans le Haut-Rhin, cela concerne 7 % des boues, soit 450 tMS, la majorité des boues étant compostée », précise Céline Veit.

Afin d’atteindre l’hygiénisation, il est recommandé de « maintenir le pH à 12 sur au moins dix jours, la température à 55 °C pendant quatorze jours ou à 65 °C pendant trois jours consécutifs pour les traitements thermiques », détaille Céline Veit. Au SDEA, le respect de ces critères a été vérifié selon un protocole d’analyses. Au-delà du suivi de ces paramètres, d’autres analyses sont mises en œuvre, qui visent cette fois à vérifier l’efficacité des pratiques d’hygiénisation. À l’heure actuelle, il n’existe pas de protocole validé pour détecter le SARS-CoV-2 dans les boues d’épuration, ni pour mesurer sa teneur. Aussi, ce sont d’autres micro-organismes, dits d’intérêt sanitaire, qui sont tracés (salmonelles, E. coli, entérovirus…), partant du postulat que si les mesures d’hygiénisation ont permis de réduire leur concentration, elles doivent aussi avoir permis de réduire celle du SARS-CoV-2. Le SDEA effectue une partie de ces analyses. Cependant, « afin de pouvoir justifier de l’efficacité des mesures mises en œuvre en toute transparence », une partie des analyses est confiée à un laboratoire indépendant accrédité Cofrac. Et cela a un coût : par rapport à l’épandage en conditions « normales », la facture va être multipliée par quatre, estime Thierry Willmann. Un surcoût qui sera pris en charge par les collectivités, aidées en cela, mais seulement en partie, par l’Agence de l’eau Rhin Meuse.

Peu de changements pour les agriculteurs

Les conditions d’épandage ayant été peu favorables au mois de mars, aucunes boues issues de la période épidémique n’ont encore été épandues. Elles vont commencer à l’être dans quelque temps, après la moisson. Pour l’heure, les analyses se poursuivent : « Dans deux à trois semaines, nous saurons si les mesures d’hygiénisation mises en œuvre ont été efficaces, et quelle est la proportion de boue qui a été correctement hygiénisée », indique Thierry Willmann. S’il est plutôt confiant en ce qui concerne l’efficacité du compostage, dont le process est bien maîtrisé, il n’écarte pas le risque de recevoir des résultats d’analyses non conformes sur les boues chaulées ou séchées thermiquement. Dans ce cas, « soit l’hygiénisation sera complétée, soit les boues seront incinérées ».

Au-delà de la discrimination des boues épandables et non-épandables, le SDEA expertise l’efficacité des différents traitements, afin d’identifier les protocoles les plus efficaces : « Nous mesurons notamment les niveaux d’abattement entre la charge en entrée et la charge en sortie en certains micro-organismes », détaille Thierry Willmann. En outre, « peut-être que ces analyses vont permettre de démontrer que les traitements classiques des eaux usées sont suffisants, et donc que l’hygiénisation ne s’impose pas forcément, mais cela reste à prouver ». Concrètement, pour les agriculteurs, peu de changements à prévoir : « Il n’y aura pas d’épandage de boue liquide, et peut-être moins de boues à épandre, s’il s’avère qu’une partie du volume n’est pas correctement hygiénisée. Mais il n’y aura pas de surcoût pour eux », résume Céline Veit.

 

 

19 % des boues dans le Bas-Rhin et 7 % dans le Haut-Rhin doivent subir un traitement complémentaire

À l’avenir, il est probable que ce système de traitements complémentaires et de contrôles renforcés perdure tant que le virus SARS-CoV-2 circule. Par contre, le protocole devrait évoluer à partir du moment où les analyses seront assez élaborées pour discriminer les formes actives des formes inactives du virus, et qu’un protocole d’analyse adapté aux eaux usées et aux boues permette de n’appliquer de traitement spécifique qu’aux effluents où la présence du virus est avérée. Une pérennisation de la circulation du virus s’accompagnera aussi sans doute de la mise en place de contrôles et de contre-analyses par les autorités sanitaires, ce qui n’est pas le cas actuellement. Quoi qu’il en soit, l’épidémie a permis de mettre en lumière la nécessité de sécuriser la filière d’épandage, et de gagner en connaissances scientifiques sur le comportement des boues face aux différents traitements, et ça, « ce sera bénéfique pour tout le monde », conclut Thierry Willmann.

 

Des boues de plusieurs types

Les traitements appliqués aux boues en sortie de station d’épuration sont spécifiques à chaque station. Ils sont déterminés par la taille de l’installation, les caractéristiques agricoles du secteur d’épandage… Ainsi, les plus petites stations produisent des boues liquides, alors que les plus grandes disposent de capacités de traitements plus poussées, qui leur permettent notamment de déshydrater les boues et par conséquent, de réduire leur volume, donc les besoins en stockage et en surface épandable. Les boues sont ensuite souvent chaulées, compostées ou traitées thermiquement. À noter que les boues liquides présentent le pouvoir fertilisant le plus élevé. En effet, les traitements s’accompagnent d’une réduction de leur teneur en azote. Par contre, le fait de chauler ou composter les boues permet de leur conférer d’autres propriétés, aussi intéressantes d’un point de vue agronomique.

Bérengère de Butler

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