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Paysagistes

Les affaires reprennent

Publié le 22/05/2020 | par Anne Frintz

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Olivier Schellenberger et son salarié, taillent un arbuste, mi-mai, dans une copropriété de Strasbourg-Koenigshoffen. Olivier est paysagiste et aussi élagueur-grimpeur.
Germain Schmitt
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Jacky Wolff, vice-président de l’Union nationale des entreprises du paysage (Unep) du Grand Est et co-président du Bas-Rhin, assure : « On a le moral. Je n’ai pas entendu une entreprise qui dise qu’elle est au bord du gouffre ». L’Unep Grand-Est et du Bas-Rhin communiquent des informations pratiques via WhatsApp.
Germain Schmitt
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Pavage à Hochfelden pour les salariés de l’entreprise Thierry Muller, mi-mai. « Il est temps que les collectivités et le bâtiment se remettent en route pour qu’on puisse reprendre les aménagements extérieurs », remarque Jacky Wolff.
Germain Schmitt

Elles n’avaient pas longtemps cessé ! À l’arrêt entre dix jours et un mois, souvent au début du confinement, les entreprises du paysage ont repris l’entretien des espaces verts, voire certains chantiers, dès avril. Le chiffre d’affaires sur le début de l’année 2020 s’en ressentira, certes, mais les structures ont limité la casse et parient sur un afflux de commandes depuis le déconfinement.

Toutes les entreprises du paysage travaillant avec des sociétés privées et/ou des particuliers sont confrontées à « une énorme demande », depuis la fin du confinement, dixit Jacky Wolff, de la société Wolff René & Fils - Espaces verts à Hoerdt, vice-président de l’Union nationale des entreprises du paysage (Unep) du Grand Est et co-président du Bas-Rhin avec Gérard Jost. « C’est le côté plus que positif du confinement : les gens ont eu le temps de parler jardin », relève-t-il.

Ce sentiment est partagé par Franck Jehl, l’un des trois dirigeants de l’entreprise Thierry Muller depuis 2018, responsable de l’agence du Haut-Rhin, à Richwiller. La société mère est à Geispolsheim-gare. « On est confiants, le carnet de commandes est bon. Depuis le 11 mai, on a repris notre activité à plus que 100 % », dévoile-t-il. Cette hausse d’activité pallie au manque d’avril : moins 25 % de chiffre d’affaires sur les quatre premiers mois de l’année, par rapport à 2019… Mais aussi moins de dépenses, souligne Franck. Main-d’œuvre intérimaire et contrats saisonniers renforcent les équipes chez Thierry Muller, aujourd’hui.

« On peut rattraper mais encore faut-il de la main-d’œuvre qualifiée », tempère Jacky Wolff, qui en appelle à la Chambre d’agriculture d’Alsace et aux établissements publics pour qu’ils signent des conventions de stage au plus vite, et rappelle que l’apprentissage se prépare d’ores et déjà pour la prochaine rentrée des classes. Ses employés feront des heures supplémentaires, « pour le moment », et il l’assure : ils prendront leurs congés, essentiels pour les retrouvailles en famille et les vacances.

Olivier Schellenberger est gérant et salarié de la SARL Schellenberger à Strasbourg-Neudorf, créée par son aïeul en 1925. Lui a trouvé son stagiaire. Ce dernier vient d’un centre de formation privé qui l’a conventionné. Du 12 mai au 27 juillet, il travaille avec Olivier et le second salarié de l’entreprise, et il passera son examen pratique à la SARL. Olivier n’est, pour autant, pas encore aussi enthousiaste que ses confrères précités. « De mars à mi-mai, on a reçu deux fois moins d’appels qu’en temps normal à cette période. On travaille essentiellement avec des particuliers et des copropriétés, et ils appellent moins », constate-t-il. Les devis de création d’aménagements commencent à revenir tout doucement. « C’est un coup de frein au développement de la structure même si elle n’est que légèrement impactée », enchaîne Olivier, qui compte sur le chômage partiel (le site Internet du gouvernement était saturé deux semaines durant, précise-t-il, au début du confinement) et sa trésorerie, pour enrayer les pertes de mars-avril. L’embauche d’un salarié fin 2020 est maintenant soumise à l’évolution de la situation.

Chez Thierry Muller, pas question de renoncer aux investissements prévus en 2020, d’une hauteur de 500 000 €. « On a suspendu nos prêts bancaires et on espère bénéficier du prêt garanti par l’État », confie Franck Jehl. Les deux structures sont incomparables. Si la SARL Schellenberger fait vivre deux salariés, grâce surtout aux privés de Strasbourg et des environs, et affiche un chiffre d’affaires 2019 de 300 000 €, le groupe Thierry Muller atteint 15 millions d’euros (M€) de chiffre d’affaires annuel dont 80 % est fait sur du marché public. Près de 120 salariés travaillent pour la SAS, qui a fêté ses quarante ans cette année. Ils se déplacent dans toute l’Alsace, en Moselle et dans le territoire de Belfort.

 

 

Des volontaires dès la première heure

Pour les deux entreprises, le 16 mars, tout s’est arrêté. Principe de précaution oblige. La SARL Schellenberger est restée fermée trois semaines, jusqu’à ce qu’Olivier soit assuré de pouvoir poursuivre son activité, que lui et son collègue se soient confectionnés des masques, qu’ils aient du gel hydroalcoolique et des gants, et que leur reprise soit accueillie favorablement par les clients. « La deuxième quinzaine de mars a été une période de doute, vraiment. Je ne voulais pas prendre le risque qu’on puisse se retourner contre moi. Je ne savais pas si mon métier était essentiel ou non. On a obtenu des informations au compte-gouttes à partir de début avril », retrace-t-il.

Au sein du groupe Thierry Muller, dix jours après le début du confinement, l’activité reprenait déjà, avec près d’un tiers de l’effectif. Au 27 mars, environ la moitié du personnel était au chômage partiel ; un peu moins de 20 % des salariés en arrêt maladie. À partir de la troisième semaine d’avril, l’activité a augmenté au fur et à mesure des réceptions de masques de protection, et des autorisations des clients à reprendre le travail. Concernant les marchés publics, ceux-ci étaient réticents au départ, du fait notamment de la promiscuité inhérente à certains chantiers. Seulement 30 % de l’activité du groupe est basée sur l’entretien, 70 % sur l’aménagement créatif de l’espace, ce qui explique aussi la reprise progressive de l’activité. « Les chantiers sont décalés. En marchés publics, on travaille avec des constructeurs qui ont pris du retard », détaille Franck Jehl.

Jusqu’à la mi-avril, la SARL et la SAS ont été confrontées à des difficultés d’approvisionnement, leurs fournisseurs habituels étant fermés. Autre contrainte partagée : les déplacements sur les chantiers. « Ce n’est que depuis le 11 mai que nous sommes à nouveau deux dans la camionnette », remarque Olivier Schellenberger. Chez Thierry Muller, les salariés se partageaient parfois le véhicule à trois, avant le confinement. Le Covid-19 a changé la donne et cette règle d’une personne par automobile a été un souci organisationnel, admet Franck Jehl. Les deux chefs d’entreprise insistent sur le fait que leurs employés ont repris le travail volontairement. « À l’heure actuelle, on ne regrette pas d’avoir repris l’activité le plus tôt possible, dans les meilleures conditions pour protéger le personnel, qui a été associé aux décisions. Il n’y a pas eu de malade, pas de contagion, jusqu’à présent », s’exclame le codirigeant du groupe Thierry Muller. À la SARL Schellenberger, rien à signaler non plus.

Pas la même productivité qu’avant

Tout a fonctionné au ralenti en avril mais la nature, elle, n’était pas confinée, rappelle Franck Jehl. La saison de la tonte avait démarré. Les deux entreprises ont surtout fait de l’entretien d’espaces verts durant le confinement. Coup de chance pour les paysagistes : fin mars et début avril, la sécheresse a évité des hauteurs de tonte de plus de 30 cm. « On était dans les standards », lâche Olivier, dont la SARL entretient aussi 250 tombes sur différents secteurs de Strasbourg. Sa demande d’ouverture des cimetières à la municipalité est restée vaine, affirme-t-il. Il n’a pas eu l’autorisation d’entrer dans ces espaces publics avant le déconfinement, le 11 mai. Il a donc raté la première plantation de fleurs, pour Pâques. Jacky Wolff, lui, a pu officier dans les cimetières dès le début du mois d’avril, après avoir soumis aux collectivités du nord de l’Alsace où il opère, un protocole de reprise. « Je remercie ceux qui nous ont laissés travailler. Cela a permis de préserver les emplois et d’en créer à l’avenir », dit Jacky, reconnaissant. La SAS Wolff Renée & Fils, fondée en 1966, a fait 2,30 M€ de chiffre d’affaires en 2019. Elle compte une trentaine de salariés qui exercent à parts égales leurs talents pour des collectivités, des particuliers et des entreprises privées.

« Le gros point négatif de cette pandémie, ce sont les mesures de protection et l’organisation du travail qui en découlent. La rentabilité sur un chantier n’est pas la même qu’avant. D’autant plus que certains matériaux arrivent toujours avec du retard aujourd’hui », juge Jacky Wolff. Olivier Schellenberger renchérit : « La productivité, avec ces protocoles, est moindre. Les gestes barrière nous ralentissent, même pour de l’entretien ou se fournir à la pépinière. Chez certaines personnes, c’était facile d’intervenir sans prévenir, avant l’épidémie. Aujourd’hui, il faut obligatoirement appeler avant de passer. Et porter un masque sera d’autant plus pénible quand il fera chaud ». Les affaires reprennent pour les paysagistes. Elles n’avaient pas longtemps cessé. Mais l’exercice de leur métier, bien qu’en plein air, est toujours impacté.

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