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Loyers : les restaurateurs ne veulent pas payer l’addition

Publié le 10/05/2020 | par CD

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N’ayant pas droit au fonds de solidarité, Yannick Bangratz et son fils Quentin ont dû s’adapter pour faire face aux difficultés engendrées par le Covid-19.
Germain Schmitt
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Emmanuel Wolfrom, propriétaire du Tigre à Stutzheim-Offenheim, compense son manque à gagner avec la restauration à emporter.
Emmanuel Wolfrom
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Au Tigre, à Stutzheim-Offenheim, beaucoup de clients sont des habitués, notamment des voisins qui se cherchent à manger au moins une fois dans la semaine.
Emmanuel Wolfrom

Privés de recettes depuis le confinement, les restaurateurs doivent néanmoins continuer à payer leurs charges fixes. Des dispositifs de soutien ont été mis en place par le gouvernement mais, pour ceux qui ne sont pas propriétaires de leurs murs, le problème du loyer reste entier.

En Alsace, depuis le début du confinement, les finances des restaurants sont malmenées et chacun use de stratégie pour garder les comptes à flot. L’équation est d’autant plus compliquée quand il y a un loyer à payer. Alors, quelles mesures les restaurateurs ont-ils adoptées ?

À Stutzheim-Offenheim, le restaurant le Tigre est tenu par le chef Emmanuel Wolfrom. C’est un restaurant de gastronomie rurale, implanté dans la région depuis les années 1990. Pour le restaurateur, pas de problème majeur, puisqu’il est propriétaire des murs avec une SCI, à qui il reverse les loyers pour honorer les investissements des crédits : « Nous avons figé la totalité de nos mensualités à la banque pendant six mois. Les aides proposées par l’État vont bien nous aider, nous les attendons avec impatience. » Le chef a remis son tablier, depuis le 27 avril, et compense son manque à gagner avec de la restauration à emporter. Ce dernier explique que beaucoup de clients sont des habitués, notamment des voisins qui se cherchent à manger au moins une fois dans la semaine. « Les clients peuvent réserver leurs plats tous les jours », précise-t-il.

 

 

À Westhoffen, capitale de la cerise alsacienne, se trouve un restaurant aux notes gastronomiques : Au Cerisier, tenu par deux chefs, Yannick Weber et Nicolas Pfirsch. « Nous avons uniquement le fonds de commerce, le propriétaire habite au-dessus. Les loyers ont été gelés depuis mars, notre assurance nous a contactés pour nous expliquer que les loyers seront pris en charge, la crise du Covid-19 étant déclarée comme un sinistre. » Mais cela prend beaucoup de temps car ils ne sont pas les seuls à avoir fait une demande à leur assurance. En attendant les aides, les deux jeunes cuisiniers se sont adaptés : « Nous faisons, tous les vendredis soir, des pizzas et des tartes flambées à emporter et, le dimanche midi, des plats à chercher ou que nous livrons à domicile. Les gens sont assez demandeurs, heureusement. »

 

 

« Si vous n’avez pas les fonds de suite, vous ne les aurez pas forcément après »

Du côté des traiteurs, Anthony Adjedj possède trois enseignes Les 3 Ptis cochons. Locataire de ses locaux à Strasbourg et à Colmar, le gérant fait état de la situation. Le gouvernement a, en effet, procédé à une suspension complète des loyers publics, « sauf que je ne suis pas dans ce cas de figure, puisque ce sont des propriétaires privés », s’agace-t-il légèrement. Dernièrement, il a envoyé un e-mail à ses propriétaires, pour savoir ce qu’ils pouvaient faire. Si les loyers sont gérables pour lui, aux alentours de 1 500-1 600 euros par location, la solution apportée par les bailleurs est loin d’être suffisante : « On m’a proposé un report des charges et des loyers. Les reports, c’est bien mais, si vous n’avez pas les fonds de suite, vous ne les aurez pas forcément après. » Du coup, il a préféré faire rentrer de l’argent en misant sur le digital : « Nous avons décidé de nous mettre sur les plateformes de livraison comme Uber Eats ou Deliveroo et nous sommes en train de finaliser notre site de vente en ligne. En parallèle, nous préparons la réouverture des commerces avec toute la conformité sanitaire (masques, panières). Nous aurons la chance de pouvoir ouvrir un peu plus tôt que les restaurants », se rassure-t-il.

 

 

Les petits restaurants de quartier strasbourgeois ont de quoi être envieux. À deux pas de la cathédrale, Yannick Bangratz tient Les Chauvins, Père & Fils, avec son fils Quentin. Pour lui, les finances sont difficiles. Il est locataire. C’est un particulier qui est propriétaire des murs. Et il n’y a pas d’arrangement : le loyer continue à être payé. « Je n’ai droit à aucun soutien car le fonds de solidarité est proposé aux chefs d’entreprise qui ont moins de 60 000 euros de bénéfices. Si vous dépassez cette somme, vous n’y avez pas accès. » Une situation qui engendre des répercussions sur son fils, qui n’a pas le statut de salarié. Il n’a donc pas droit au chômage partiel. Le patron désespère. Il perd de l’argent tous les mois, depuis le confinement. Ensemble, ils ont cherché par tous les moyens à se faire connaître ; par Facebook, notamment. Environ 10 000 personnes ont été touchées par leur communication mais c’est insuffisant pour faire tourner le restaurant normalement. La crise du Covid-19 a, en effet, changé la donne : « Nous visions le tourisme, puisque nous faisions des tapas à l’alsacienne. Depuis la crise, nous n’avons plus qu’une clientèle locale. Nous pouvons encore vivre six à huit mois car nous avons fait une bonne année précédente mais, si la crise dure au-delà, ce sera différent… »

 

 

Les solutions arrivent au compte-gouttes

Face au désarroi de certains restaurateurs alsaciens, l’Umih (l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie-restauration) avait quelque peu grincé des dents. La dernière allocution de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, qui remontait au 16 avril dernier, avait laissé le groupement syndical perplexe. « Il n’y a aucun texte ni décret sur les locations privées », avait annoncé de but en blanc Christophe Weber, président de l’Umih 67. « Les restaurants qui ont un bailleur public ou de grands bailleurs nationaux ont obtenu des aménagements voire des suppressions de loyers. Mais les autres, ceux qui louent à des particuliers, se sont fait gentiment envoyer promener. Ce sont ces derniers sur lesquels nous travaillons », expliquait encore Christophe Weber.

 

 

Lundi matin 4 mai, Bruno Le Maire a enfin donné une réponse aux problèmes soulevés par Yannick Bangratz ainsi que par l’Umih. Le ministre de l’Économie a annoncé, au micro de France Inter, que « tous les indépendants qui n’ont pas de salarié pourront avoir accès au deuxième étage du fonds de solidarité pour payer leur loyer. » Bruno Le Maire a également rappelé que le second niveau de cette aide permet de percevoir jusqu’à 5 000 euros. Un peu de répit pour les restaurateurs alsaciens.

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